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que la place publique me vengerait un matin& Sur cette place
publique, on vient de me rosser comme plâtre ; j ai les reins
moulus et le cSur las !
Si demain un bâtiment voulait me prendre et m emporter au
bout du monde, je partirais déserteur par dégoût, réfractaire pour
tout de bon !
« Mais vous n entendez donc pas la Marseillaise ? »
Elle me fait horreur, votre Marseillaise de maintenant ! Elle
est devenue un cantique d État. Elle n entraîne point des
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volontaires, elle mène des troupeaux. Ce n est pas le tocsin sonné
par le véritable enthousiasme, c est le tintement de la cloche au
cou des bestiaux.
Quel est le coq qui précède de son cocorico clair les régiments
qui s ébranlent ? Quelle pensée frissonne dans les plis des
drapeaux ? En 93, les baïonnettes sortirent de terre avec une idée
au bout  comme un gros pain !
Le jour de gloire est arrivé ! ! !
Oui, vous verrez ça !
Place du Palais-Bourbon.
Nous sommes devant le Corps législatif, tous les trois, Theisz,
Avrial et moi, le jour de la déclaration.
Il fait grand soleil, de jolies femmes apparaissent en fraîches
toilettes, avec des fleurs au corsage.
Le ministre de la Guerre, ou quelque autre, vient d arriver
tout fringant, dans une voiture à caisse neuve, traînée par des
chevaux au mors d argent.
On dirait une fête de la Haute, une cérémonie de gala, un Te
Deum à Notre-Dame ; il flotte dans l air un parfum de veloutine
et de gardénia.
Rien ne dénote l émotion et la crainte qui doivent tordre les
cSurs quand on annonce que la patrie va tirer l épée.
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Des vivats ! des cris ! &
Le sort en est jeté  ils ont passé le Rubicon !
6 heures.
Nous avons traversé les Tuileries, silencieux, désespérés.
Le sang m était sauté à la face et menaçait de m envahir le
cerveau. Mais non ! ce sang que je dois à la France est sorti
bêtement par le nez. Hélas ! je vole mon pays, je lui fais tort de
tout ce qui coule, coule et coule encore !
J ai le museau et les doigts tout rouges, mon mouchoir a l air
d avoir servi à une amputation, et les passants, qui reviennent
enthousiastes du Palais-Bourbon, s écartent avec un mouvement
de dégoût. Ce sont les mêmes, pourtant, qui ont applaudi le vote
par lequel la nation est condamnée à saigner par tous les pores.
Mon pif en tomate les gêne ! & Bande de fous ! Viande à
mitraille !
« Il devrait cacher ses mains » fait, avec une moue de
répugnance, un barbu qui tout à l heure criait à tue-tête.
Je me suis débarbouillé dans le bassin.
Mais les mères s en sont mêlées.
« Est-ce qu il a le droit de faire peur aux cygnes et aux
enfants ? » ont-elles dit, en rappelant leurs bébés dont trois ou
quatre étaient harnachés en zouaves.
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Croix de Genève.
Tous les journalistes sont en l air. C est à qui ira à l armée.
On a organisé un bataillon d ambulanciers. Ceux qui ont été,
rien qu un quart d heure, étudiants en médecine, qui ont quelque
vieille inscription dans leur poche de bohème, s adressent à une
espèce de docteur philanthrope qui met la chirurgie à la sauce
genevoise. Il a inventé un costume de chasseur noir, de touriste
en deuil, sous lequel les enrôlés prennent des airs religieux ou
funèbres.
Je viens de les voir sortir du Palais de l Industrie. Le sergent,
marchant en tête, est le secrétaire de rédaction de la Marseillaise
 celui-là même qui voulait bien nous accorder quelques sous,
mais nous refusait des pistolets, le jour de l assassinat de Victor
Noir  un brave garçon, belliqueux comme un paon, qui fait la
roue avec un harnachement de tous les diables en éventail sur le
dos.
Dans ces équipes d infirmiers qui viennent de partir du pied
gauche pour les champs de bataille, bien des dévoués, mais aussi
que de romantiques et de cabotins !
Les jardins et les squares sont couverts de pelotons
d hommes vêtus moitié en civils, moitié en militaires, qu on fait
courir, piétiner, former le carré, former le cercle&
« Contre la cavalerie, croisez ! En garde contre l infanterie ! À
cinq pas, prenez vos intervalles ! & Rentrez donc les coudes ! &
Le 9, vous sortez des rangs ! & Gauche, droite ! Gauche, droite ! »
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Et les coudes rentrent, et le 9 renfonce sa bedaine !
Gauche, droite ! Gauche, droite !
Et après ?
Croyez-vous que l on garde ainsi les distances, qu on
manSuvre la baïonnette avec ce geste de métronome, quand on
se trouve au fort des mêlées, dans le pré, le champ ou le cimetière,
où l on rencontre l ennemi tout d un coup ?
Chaque jour, des détachements prennent le chemin des gares,
mais c est plutôt une cohue qui se débande que des régiments qui
défilent ! Ils roulent en flots grossiers, avec des bouteilles en
travers de leur sac.
Et moi je sens, à l hésitation de mon cSur, que la défaite est
en croupe sur les chevaux des cavaliers, et je n augure rien de bon
de tous ces bidons et de ces marmites que j ai vus sur le dos des
fantassins.
Ils s en vont là comme à la soupe& J ai idée qu il y pleuvra
des obus, dans cette soupe, pendant qu on pèlera les pommes de
terre et qu on épluchera les oignons.
Ils feront pleurer, ces oignons-là !
Personne ne m écoute.
C est la même chose qu en Décembre, lorsque je prédisais la
dégringolade. On me répondait alors que je n avais pas le droit de
décourager ceux qui auraient pu vouloir se battre.
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On me crie à présent : « Vous êtes criminel et vous calomniez
la Patrie ! »
Un peu plus, on me conduirait à la Place comme traître !
Place Vendôme.
On vient de m y conduire !
On m a empoigné à la tête d un groupe désespéré des vraies
défaites, furieux de la fausse victoire et qui hurlait : « À bas
Ollivier ! »
Reconnu et signalé, j avais été porté en avant. C était
beaucoup d honneur, mais quelle dégelée ! Rien n y a manqué :
coups de bottes dans les reins, coups de pommeau de sabre dans
les côtes& et allez donc, l insurgé !
Ils se sont mis à dix pour me traîner jusqu à l état-major de la
garde nationale.
« C est un espion ! » beuglait-on sur mon passage.
Et parce que je répondais : « Imbéciles ! » quelques
baïonnettes bourgeoises se disputaient la joie de me larder,
quand un lieutenant, qui commandait le poste, m a arraché à
l appétit des compagnies.
Il me connaît, il a vu ma caricature en chien, avec une
casserole à la queue.
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« Quoi ! c est vous ! & mais vous êtes un gaillard que je gobe,
un gaillard qui me va ! On a failli vous écharper ? & Affaire ratée !
mais ils sont fichus de vous envoyer à Cayenne ! Ah ! mais oui ! »
Il a raison ! Du ministère de la Justice vient d arriver l ordre
de me livrer aux agents.
Ils m ont encadré de leurs quatre silhouettes noires et nous
sommes partis avec des allures d ombres chinoises.
On entend nos pas dans le silence de la nuit ; les noctambules
s approchent et regardent.
Station au commissariat.  Interrogatoire, fouille, mise au
violon !
Une estafette apporte, à galop de cheval, une dépêche qui me
concerne.
Transfert au Dépôt.
Je viens de m abattre sur une planche de lit de camp, entre un
mendiant à moignons qui renouvelle ses ulcères avec des herbes,
et un garçon à mine distinguée, mais éperdue, qui me voyant à
peu près bien mis, se blottit contre moi et me dit tout bas, les
dents serrées, la respiration haletante :
« Je suis sculpteur& Je n ai pas mouillé ma terre& Je n ai pas
donné à manger à mon chat& J allais lui acheter du mou& on m a
pris avec les républicains& »
Le souffle lui manque.
« Et vous ? achève-t-il péniblement.
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 Je n allais pas acheter du mou& Je n ai pas de chat, j ai des
opinions. »
« Vous vous appelez ?
 Vingtras.
 Ah ! mon Dieu ! »
Il s écarte, se roule dans son paletot, y rentre sa tête comme
une autruche.
Il la ressort pourtant, au bout d un moment, et, avec un [ Pobierz całość w formacie PDF ]

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