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bout de sa liste, on respirait. Je poussai pour ma part, un soupir de soulagement.
André Chénier dit : "Continuez donc, je suis là."
Le commissaire le regarda d'un oeil hébété. Il chercha dans son chapeau, dans ses poches, à sa ceinture,
et, ne trouvant rien, dit qu'on appelât l'huissier du tribunal révolutionnaire. Cet huissier vint. Nous étions en
suspens. L'huissier était un homme pâle et triste comme les cochers de corbillard.
"Je vais compter le troupeau, dit-il au commissaire ; si tu n'as pas toute la fournée, tant pis pour toi.
- Ah ! dit le commissaire troublé, il y a encore Beauvilliers Saint-Aignan, ex-duc, âgé de vingt-sept
ans..."
Il allait répéter tout le signalement, lorsque l'autre l'interrompit en lui disant qu'il se trompait de
logement et qu'il avait trop bu. En effet, il avait confondu, dans son recrutement des ombres, le second
bâtiment avec le premier, où la jeune femme avait été laissée seule depuis un mois. Là-dessus ils sortirent,
l'un en menaçant, l'autre en chancelant. La cohue poissarde les suivit. La joie retentit au-dehors et éclata par
des coups de pierres et de bâton.
XXVIII. Le réfectoire 88
Les consultations du docteur Noir ; Stello : première consultation ; Daphné : seconde consultation du docteur Noir
Les portes refermées, je regardai la salle déserte, et je vis que madame de Saint-Aignan ne quittait pas
l'attitude qu'elle avait prise pendant la dernière lecture : ses bras appuyés sur la table, sa tête sur ses bras. -
Mademoiselle de Coigny releva et ouvrit ses yeux humides comme une belle nymphe qui sort des eaux.
André Chénier me dit tout bas en désignant la jeune duchesse :
"J'espère qu'elle n'a pas entendu le nom de son mari ; ne lui parlons pas, laissons-la pleurer.
- Vous voyez, lui dis-je, que monsieur votre frère, qu'on accuse d'indifférence, se conduit bien en ne
remuant pas. Vous avez été arrêté sans mandat, il le sait, il se tait ; il fait bien : votre nom n'est sur aucune
liste. Si on le prononçait, ce serait l'y faire inscrire. C'est un temps à passer, votre frère le sait.
- Oh ! mon frère ! " dit-il. Et il secoua longtemps la tête en la baissant avec un air de doute et de
tristesse. Je vis pour la seule fois une larme rouler entre les cils de ses yeux et y mourir.
Il sortit de là brusquement.
"Mon père n'est pas si prudent, dit-il avec ironie. Il s'expose, lui. Il est allé ce matin lui-même chez
Robespierre demander ma liberté.
- Ah ! grand Dieu ! m'écriai-je en frappant des mains, je m'en doutais."
Je pris vivement mon chapeau. Il me saisit le bras.
"Restez donc, cria-t-il ; elle est sans connaissance."
En effet, madame de Saint-Aignan était évanouie.
Mademoiselle de Coigny s'empressa. Deux femmes qui restaient encore vinrent les aider. La geôlière
même s'en mêla pour un louis que je lui glissai. Elle commençait à revenir. Le temps pressait. Je partis sans
dire adieu à personne et laissant tout le monde mécontent de moi, comme cela m'arrive partout et toujours. Le
dernier mot que j'entendis fut celui de mademoiselle de Coigny, qui dit, d'un air de pitié forcée et un peu
maligne, à la petite baronne de Soyecourt :
"Ce pauvre M. de Chénier ! que je le plains d'être si dévoué à une femme mariée et si profondément
attachée à son mari et à ses devoirs ! "
XXVIII. Le réfectoire 89
Les consultations du docteur Noir ; Stello : première consultation ; Daphné : seconde consultation du docteur Noir
XXIX. Le caisson
Je marchais, je courais dans la rue du Faubourg-Saint-Denis, emporté par la crainte d'arriver trop tard et
un peu par la pente de la rue. Je faisais passer et repasser devant mes yeux les tableaux qu'ils venaient de voir.
Je les resserrais en mon âme, je les résumais, je les plaçais entre le point de vue et le point de distance. Je
commençais sur eux ce travail d'optique philosophique auquel je soumets toute la vie. J'allais vite, ma tête et
ma canne en avant. Les verres de mon optique étaient arrangés. Mon idée générale enveloppait de toutes parts
les objets que je venais de voir et que j'y rangeais avec un ordre sévère. Je construisais intérieurement un
admirable système sur les voies de la Providence qui avait réservé un poète pour un temps meilleur et avait
voulu que sa mission sur la terre fût entièrement accomplie ; que son coeur ne fût pas déchiré par la mort de
l'une de ces faibles femmes, toutes deux enivrées de sa poésie, éclairées de sa lumière, animées par son
souffle, émues par sa voix, dominées par son regard, et dont l'une était aimée, dont l'autre le serait peut-être
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